Vous avez lu Outliers de Malcolm Gladwell? Vous ne l’avez pas lu mais vous avez entendu parler de la règle des 10 000 heures? Vous avez un tableau Excel où vous répertoriez toutes vos heures d’apprentissage de langue dans le but d’atteindre 10 000 et devenir un expert? Dans tous les cas, lisez ce billet pour avoir enfin les idées claires et comprendre pourquoi la règle 10 000 heures de pratique ne devrait pas nécessairement être votre objectif lorsque vous apprenez une langue.

La règle des 10 000 heures pour maîtriser une langue: de quoi parle-t-on?
En 1993, un groupe de chercheurs en psychologie a publié un papier intitulé The role of practice in the acquisition of expert performance où ils ont étudié des individus experts dans leur domaine et se sont demandés ce qu’ils ont en commun. Ils ont défini que, pour différents domaines, une pratique d’au moins 10 ans est nécessaire à atteindre un niveau d’expertise et que cela s’acquiert par une « pratique délibérée« .
Cette étude, dont les résultats seront connus comme la règle des 10 000 heures de pratique pour atteindre un niveau « expert », a été popularisée par le livre de Malcolm Gladwell Outliers paru en 2008. Quelles sont ses implications? Cela signifie que le niveau de maîtrise que l’on a d’un sujet est proportionnel au temps passé à développer ses compétences sur le sujet.
Avant d’établir la règle des 10 000 heures, les chercheurs avaient postulé la règle des 10 ans de pratique, à raison de 1000 heures par an. Cela fait 2,7 heures par jour pendant 10 ans. La règle des 10 000 heures vient affiner celle des 10 ans. Cette règle, au départ élaborée à partir des performances de champions, a été extrapolée à tous les domaines y compris les langues et est valable de manière générale pour tout le monde (c’est-à-dire pas uniquement les petits génies champions d’échecs ou les athlètes).
L’école peut-elle former des experts en langue?
Si l’expertise requiert 10 000 heures de pratique ( qui plus est « délibérée ») un tel niveau en langue est impossible à atteindre à l’école par exemple, où l’on estime qu’un élève a environ 600 heures de cours de langue seconde durant toute sa scolarité (en moyenne : 54 heures par an pour le primaire, puis 2h par semaine de la 5e à la Seconde puis 4,5h en Première et 4h en Terminale). Les chiffres sont à peine supérieurs pour la LV1 (langue vivante 1). On est très loin de s’approcher du niveau d »expertise en langue seconde en terminant le lycée!
Par ailleurs, une question intéressante se pose : peut-on compter le temps passé à apprendre une langue? De l’avis même des « experts » en psychologie et en éducation c’est difficile, car cela inclut l’apprentissage formel et l’apprentissage informel (où l’on apprend tout seul, par tous les moyens: regarder des films, faire un voyage pour entendre et pratiquer la langue, étudier dans les livres, échanger avec des locuteurs de la langue, écouter de la musique…). Tenir le compte du nombre d’heures de pratique n’est pas chose aisée.
Comment définir la pratique « délibérée »?
Les chercheurs qui ont énoncé la règle des 10 000 heures de pratique ont bien stipulé que la pratique doit être « délibérée ». Mais qu’est-ce qu’une pratique délibérée?
Dans le papier How Will Alberta’s Second Language Students Ever Achieve Proficiency? » Sarah Elaine Eaton définit la pratique délibérée comme étant ‘les efforts considérables, spécifiques et soutenus réalisés en vue de pouvoir réaliser quelque chose que l’on ne sait pas faire correctement‘. Cela consiste à réaliser de sa propre initiative des activités qui permettent de corriger spécifiquement nos faiblesses, et à évaluer les performances pour progresser. Une simple répétition des mêmes tâches ne suffit donc pas : l’apprentissage doit être actif, initié de son plein gré, durer longtemps (ce qui implique d’être capable de se motiver sur le long-terme, pas évident !) et doit compléter les cours en classe où l’on n’a souvent pas l’opportunité d’approfondir les difficultés spécifiques de chacun.
Comment se définit un niveau « expert » en langue?
Il n’y a pas vraiment de consensus à ce sujet mais le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues offre depuis 2001 une base commune pour l’enseignement et l’évaluation des niveaux de langue et teste de nombreuses compétences langagières ( lire, écrire, comprendre l’oral, interagir avec un locuteur, les compétences socio-culturelles…). Le niveau C2 est le niveau le plus élevé : c’est le niveau de « maîtrise », soit le niveau maximal que la plupart des gens peuvent atteindre dans une langue étrangère. Est-ce pour autant le niveau d’expertise? On peut se demander aussi si les locuteurs natifs d’une langue atteignent tous le niveau « expert », et il y a fort à parier que non.
Level expert en langues : mission impossible?

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Sources:
¤ Ericsson, Krampe and Tesch-Römer, 1993, The role of practice in the acquisition of expert performance
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Je pense que la règle des 10.000 h est assez intéressante, quand on se met à pratiquer quelque chose. Si l’on considère la musique comme une langue (ce qui, honnêtement, n’est pas loin d’être la vérité), ce quota me paraît même trop bas. La question de la pratique délibérée s’y pose également, et beaucoup de jeunes décrochent justement par la répétition, et la discipline requise. Je vais offrir à mon neveu un jeu de cartes pour apprendre la musique, en espérant que ce ne soit pas son cas.
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C’est instructif d’avoir le point de vue d’une connaisseuse en matière de musique! Comme vous l’avez lu, la « règle » découle de travaux scientifiques réalisés à l’origine sur des musiciens (violonistes précisément). Cela reste plutôt une règle indicative et non véritablement scientifique, à prendre avec des pincettes donc. Dans le domaine médical par exemple, cette publication (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4662388/pdf/cuaj-9-10-299.pdf) explique qu’il en faut certainement beaucoup plus…
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C´est un article très intéressant, j´apprends le francais depuis un an et je ne sais pas combien d´heures j´ai déjá fait… mais définitivement je pense que les heures passées à l´école ne sont pas sufficent. On doit chercher des materiels pour enforcer ce qu´on a y vu. Une autre chose que je crois être vraie, est qu´on apprendre la langue pour pouvoir nous comuniquer et non pour être un expert.
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Bonjour!
Il est vrai que la majorité des apprenants cherche à communiquer dans des contextes de la vie de tous les jours et non à devenir des experts. Merci beaucoup pour votre commentaire Gustavo!
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C´est un article très intéressant, j´apprends le francais depuis un an et je ne sais pas combien d´heures j´ai déjá fait… mais définitivement je pense que les heures passées à l´école ne sont pas sufficent. On doit chercher des materiels pour enforcer ce qu´on a y vu. Une autre chose que je crois être vraie, est qu´on apprendre la langue pour pouvoir nous comuniquer et non pour être un expert.
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Le but de l’école dn’est pas de former des experts en langue, en plus il n y a pas assez d’heures pour le faire et enfin ça ne résous pas la question de la pratique délibérée…
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Tout à fait! Merci pour votre commentaire.
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Je suis d’accord qu’il n’est pas nécessaire de viser l’objectif des 10 000 heures pour apprendre une langue. Il faut savoir se fixer des objectifs atteignables, ça motive à poursuivre l’apprentissage. J’apprends le chinois depuis 2 ans et je suis loin des 10 000 heures de pratique mais je progresse, e surtout, je prends plaisir à apprendre et c’est important.
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