Qu’est-ce que le bovarysme ? Comprendre Madame Bovary de Flaubert

Le bovarysme est cet état d’insatisfaction permanent où la réalité pâlit toujours face aux rêves idéalisés. Inspiré du personnage d’Emma Bovary chez Flaubert, ce concept fascine autant les psychologues que les amateurs de littérature. Mais attention : il ne s’agit pas juste d’une forme d’ennui, le bovarysme est une véritable pathologie du désir et de l’illusion. Explications et exercices pour comprendre cette notion.

Une femme pensive dans une pièce élégante, illustrant le concept de bovarysme avec du texte informatif en surimpression.

Qu’est-ce que le bovarysme ? Comprendre Madame Bovary de Flaubert

Écoutez l’explication courte (1 minute) :


📚 Origines littéraires du bovarysme

Le bovarysme n’est pas un terme né d’une théorie abstraite : il découle d’un chef-d’œuvre littéraire. En 1857, Gustave Flaubert publie Madame Bovary, un roman qui provoque un scandale. L’héroïne, Emma Bovary, incarne un nouveau type de personnage : une femme qui préfère l’univers romanesque à sa vie conjugale terne.

Insatisfaite de son mariage avec Charles Bovary, un simple officier de santé dans la région de Rouen, Emma rêve d’une existence transfigurée par l’amour et l’aventure.

Elle dévore les romans romantiques qui alimentent ses fantasmes. Malheureusement, la réalité ne peut jamais égaler ces rêves.

Ses deux aventures amoureuses adultères tournent au vinaigre : Rodolphe s’avère être un séducteur superficiel, et Léon bien que sincère au début, déçoit Emma par son caractère trop tendre et effacé.

Le terme « bovarysme » lui-même a été forgé bien plus tard par le philosophe et critique Jules de Gaultier en 1892, qui en a fait le sujet d’un essai majeur : Le Bovarysme, la psychologie dans l’œuvre de Flaubert.

Gaultier : une tentative d’expliquer le bovarysme sous le prisme de la psychologie au XIXe siècle

Au XIXe siècle, l’hystérie est en vogue et le diagnostic “facile”‘ du cas d’Emma peut être celui-là. Mais Gaultier ne le voit pas ainsi ! Il estime que le problème d’Emma c’est une pathologie littéraire !

Gaultier y définit le phénomène comme « le pouvoir départi à l’homme de se concevoir autre qu’il n’est ».

Autrement dit, c’est cette curieuse capacité humaine à s’imaginer une existence qui n’est pas la sienne.


💔 Comment définir le bovarysme ?

Le bovarysme : l’insatisfaction et le refus de se résigner

Est-ce que le bovarysme c’est l’ennui ?

Illustration d'une main stylisée levant un doigt, symbolisant l'attention ou un rappel. Les couleurs turquoise et noire dominent l'image, avec un design minimaliste.

Non, ce serait trop simple, et il n’y aurait pas besoin d’un mot différent pour l’exprimer.

Le bovarysme se définit comme un état ou un sentiment d’insatisfaction permanent.

Voici quelques caractéristiques :

  • Le fossé entre le rêve et la réalité devient de plus en plus grand, créant une frustration chronique
  • La fuite imaginaire : Pour échapper à une réalité perçue comme insignifiante ou décevante, le « bovaryque » se réfugie dans l’imaginaire
  • L’inadaptation au réel : Incapacité profonde à accepter le monde tel qu’il est
  • L’insatisfaction structurelle : Ce n’est pas une insatisfaction passagère, c’est un trait de caractère permanent
  • Le déni de réalité : Une certaine incapacité à reconnaître les faits objectifs, préférant l’illusion

Finalement, le bovarysme c’est la tendance à s’imaginer autre que l’on est, à nourrir des rêves inadaptés à sa condition réelle, avec la conviction inébranlable que tout pourrait changer.

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L’ennui, Gaston La Touche (Domaine pubblic, wikipedia)

Le bovarysme d’un point de vue psychologique, une pathologie ou une simple rêverie ?

C’est la question qui a longtemps préoccupé les psychologues et psychiatres. Le bovarysme se situait à la croisée des chemins entre plusieurs troubles :

  • Pour certains, c’était proche de l’hystérie
  • D’autres y voyaient des signes de troubles dégénératifs
  • Freud y reconnaissait l’un des traits caractéristiques de l’hystérie : « l’insatisfaction d’un désir de désir »

Aujourd’hui, la majorité des spécialistes considèrent le bovarysme moins comme une maladie clinique que comme un fonctionnement psychologique pathologique caractérisé par une dissociation entre la perception de soi et la réalité.


Les caractéristiques clés du bovarysme

Qui est vraiment une personne atteinte de bovarysme ? Voici les traits qui la définissent :

1️⃣ La prédominance de l’imaginaire

  • Pour l’individu atteint de bovarysme, le monde des rêves prime sur le monde concret
  • Les livres, les films, les histoires d’autres personnes deviennent plus réels que l’expérience quotidienne. Emma Bovary en est l’archétype parfait : elle vit plus intensément dans ses romans que dans son foyer.

2️⃣ L’insatisfaction perpétuelle

Rien ne peut combler les attentes. Même lorsque la réalité offre quelque chose de positif, cela paraît fade comparé aux rêves entretenus. Difficile en effet de faire concurrence aux rêves !

Emma aime sincèrement son amant Léon, mais cet amour réel ne peut égaler l’idéal amoureux dont elle s’était nourrie dans les livres.

Flaubert le note avec justesse : « la réalité, même quand elle est agréable, n’est jamais à la hauteur du rêve qui l’a fait naître ».

3️⃣ Une conviction inébranlable en une possibilité d’être “autre”

Malgré les déceptions successives, le bovarysme se caractérise par cette croyance inébranlable : « je peux être autre»« mon destin peut changer ».

C’est ce qui le distingue de la simple dépression. Le déprimé a renoncé, celui ou celle atteint de bovarysme non !

Il ou elle persiste à croire, contre toute évidence, qu’un événement transformateur surviendra.

4️⃣ L’absence de résignation

Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, Emma par exemple ne sombre pas passivement dans le désespoir. Elle manifeste une forme de rébellion : elle refuse le quotidien, elle refuse le rôle social qui lui est assigné, elle refuse l’acceptation tranquille de la médiocrité.

5️⃣ La somatisation du malaise

Quand les rêves s’écroulent définitivement, le corps se venge.

Emma Bovary, après ses déceptions amoureuses, tombe malade.

Ce n’est pas une simple psychosomatisation : c’est l’effondrement du système de croyances qui soutient l’individu. Chez Emma, cet effondrement mènera au suicide.


🔬 Le bovarysme et la psychologie moderne

Une affection « textuellement transmissible »

L’écrivain Daniel Pennac, dans son ouvrage Comme un roman, a une vision plus bienveillante du bovarysme.

Il la qualifie de « maladie textuellement transmissible » et la présente même comme l’un des droits imprescriptibles du lecteur.

Pour Pennac, c’est un don : l’imagination nourrie par la littérature. Pour Flaubert, c’est une maladie mortelle.


📖 Le bovarysme dans l’histoire littéraire

Avant Flaubert

Honoré de Balzac avait déjà exploré ce thème dans La Femme de trente ans (1831). Mais c’est Flaubert qui l’a le mieux mis en oeuvre.

Avant lui encore, Cervantès avait créé Don Quichotte, qui pourrait être considéré comme le prototype masculin du bovarysme.

Après Flaubert

Le bovarysme a inspiré d’innombrables adaptations :

  • Au cinéma : La Rose pourpre du Caire (Woody Allen), César et Rosalie (Claude Sautet), Desperate Housewives (série TV)
  • En littérature graphique : Gemma Bovery de Posy Simmonds, dont Anne Fontaine a tiré un film
  • Au théâtre : Dreaming of Mme Bovary de Clara Le Picard

Chaque génération réinvente Emma Bovary, car le bovarysme reste une condition profondément humaine.


🎯 Peut-on guérir du bovarysme ?

– L’acceptation de la fadeur

Le philosophe François Julien a écrit un ouvrage intitulé Éloge de la fadeur (1991). Sa thèse? La fadeur n’est pas une malédiction. L’ordinaire, le quotidien, le « fade » ont leur propre beauté.

Charles Bovary, avec sa vie terne, son absence d’ambition, ses manières rustres, incarne cette acceptation : il ne cherche pas à transformer sa vie. Il la vit, simplement. Et c’est justement pour cela que les gens l’apprécient.

– Redéfinir le rêve

Guérir du bovarysme ne signifie pas renoncer à rêver. Cela signifie ajuster ses rêves à la réalité tout en cherchant à transformer cette réalité concrètement.

Contrairement à Emma, qui rêve sans agir (sauf à commettre l’adultère), on pourrait :

  • Rêver d’une carrière ambitieuse tout en acceptant les petites victoires quotidiennes
  • Chérir une relation réelle tout en admirant les idéaux amoureux (plutôt que d’y échapper)
  • Lire pour s’inspirer, pas pour s’évader définitivement

– La « sollicitude » : trouver du sens

  • Certains sociologues et philosophes ont mis l’accent sur ce que les anglophones appellent le « care » : cette forme d’attention et de souci d’autrui. Charles Bovary en est l’incarnation. Il a beau ne pas être ni ambitieux ni brillant, il se soucie des gens.
  • Trouver du sens dans la « besogne obscure » (l’expression de Flaubert) qu’elle soit médicale, administrative, domestique, ou artistique c’est accéder à une forme de dignité que le bovarysme ne peut jamais comprendre.

Conclusion

« Madame Bovary, c’est moi ! » aurait déclaré Flaubert.

Le bovarysme n’est pas un défaut de certains esprits faibles. C’est une condition profondément humaine : le pouvoir de se concevoir autre qu’on n’est. C’est ce qui nous pousse à rêver, à lire, à créer.

Le problème surgit quand ce pouvoir devient une prison : quand nous sommes tellement absorbés par la vie que nous devrions vivre, celle que nous “méritons”, que nous oublions de vivre celle que nous avons.


Le bovarysme : testez-vous !

Texte à trous : le bovarysme

Déplacez les mots proposés au bon endroit dans le texte pour reconstituer la synthèse de ce que vous venez de lire sur le bovarysme.

📚 Pour approfondir

Ouvrages de référence :

  • Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857)
  • Jules de Gaultier, Le Bovarysme : la psychologie dans l’œuvre de Flaubert (1892)
  • François Julien, Éloge de la fadeur (1991)

Articles scientifiques :

  • Serge Cannasse, « Monsieur Bovary, c’est moi ! », Les Tribunes de la santé (2009)

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