Publiée en 1930 par Colette, Sido est une œuvre autobiographique majeure au programme du Bac de français 2025. Dans ce récit empreint de nostalgie et de tendresse, l’auteure dresse le portrait de ses parents et de son enfance au début du XXe siècle. Le chapitre “Le capitaine” offre une vision touchante de l’amour entre ses parents.
Le chapitre “le capitaine” est le second chapitre de Sido. Après l’évocation de Sido (Sidonie), la mère, dans le premier chapitre, la narratrice passe aux souvenirs qu’elle a de son père, “le capitaine”.
Elle écrit l’avoir mal connu, tout comme sa mère : “Elle se contentait de quelques grandes vérités encombrantes : il l’aimait sans mesure, — il la ruina dans le dessein de l’enrichir — elle l’aimait d’un invariable amour, le traitait légèrement dans l’ordinaire de la vie, mais respectait toutes ses décisions.” Le passage que nous allons analyser évoque les souvenirs que Colette a de l’amour entre ses parents.

Sido, chapitre II, L’amour entre les parents – Analyse linéaire
Voici l’extrait :
Je n’avais pas plus de treize ans quand je remarquai que mon père cessait de voir, au sens terrestre du mot, sa « Sido » elle-même…
— Encore une robe neuve ? s’étonnait-il. Peste, Madame !
Interloquée, « Sido » le reprenait sans gaîté :
— Neuve ? Colette, voyons !… Où as-tu les yeux ?
Elle pinçait entre deux doigts une soie élimée, une « visite » perlée de jais…
— Trois ans, Colette, tu m’entends ? Elle a trois ans !… Et ce n’est pas fini ! ajoutait-elle avec une hâte fière. Teinte en bleu marine…
Mais il ne l’écoutait plus. Il l’avait déjà jalousement rejointe, dans quelque lieu élu où elle portait chignon à boucles anglaises et corsage niché de tulle, ouvert en cœur. En vieillissant, il ne tolérait même plus qu’elle eût mauvaise mine, qu’elle fût malade. Il lui jetait des « Allons ! allons ! » comme à un cheval qu’il avait seul le droit de surmener. Et elle allait…
Je ne les ai jamais surpris à s’embrasser avec abandon. D’où leur venait tant de pudeur ? De « Sido », assurément. Mon père n’y eût pas mis tant de façons… Attentif à tout ce qui venait d’elle, il écoutait son pas vif, l’arrêtait au passage :
— Paye ! lui ordonnait-il en désignant sa pommette nue au-dessus de sa barbe. Ou on ne passe pas.
Elle « payait », au vol, d’un baiser vif comme une piqûre, et s’enfuyait, irritée, si mes frères ou moi l’avions vue « payer ».
Une seule fois, en été, un jour que ma mère enlevait de la table le plateau du café, je vis la tête, la lèvre grisonnantes de mon père, au lieu de réclamer le péage familier, penchées sur la main de ma mère avec une dévotion fougueuse, hors de l’âge, et telle que « Sido », muette, autant que moi empourprée, s’en alla sans un mot. J’étais petite encore, assez vilaine, occupée comme on l’est à treize ans de toutes choses dont l’ignorance pèse, dont la découverte humilie. Il me fut bon de connaître, et de me remettre en mémoire, par moments, cette complète image de l’amour : une tête d’homme, déjà vieux, abîmée dans un baiser sur une petite main de ménagère, gracieuse et ridée.
Il trembla, longtemps, de la voir mourir avant lui. C’est une pensée commune aux amants, aux époux bien épris, un souhait sauvage qui bannit toute idée de pitié. « Sido », avant la mort de mon père, me parlait de lui, aisément soulevée au-dessus de nous :
— Il ne faut pas que je meure avant lui. Il ne le faut absolument pas ! Vois-tu que je me laisse mourir, et qu’il se tue, et qu’il se manque ? Je le connais…, disait-elle d’un air de jeune fille.
Problématique
Comment Colette dépeint-elle la relation amoureuse entre ses parents, révélant à la fois sa profondeur et sa complexité à travers le regard de l’enfant qu’elle était ?
Introduction :
Dans son œuvre autobiographique Sido, publiée en 1930, Colette offre un portrait saisissant de ses parents et de son enfance en Bourgogne. Le chapitre intitulé “Le capitaine” se concentre particulièrement sur la figure paternelle et les relations complexes au sein de la famille. L’extrait que nous allons étudier révèle avec finesse et sensibilité la nature de l’amour qui unit les parents de Colette, observé à travers le regard de l’auteure adolescente. Notre analyse se penchera sur la manière dont Colette dépeint cette relation conjugale, en examinant d’abord la perception idéalisée du père, puis les manifestations discrètes mais significatives de leur affection, et enfin la profondeur de leur attachement face à la perspective de la séparation. Cette étude nous permettra de comprendre comment l’auteure, à travers ses souvenirs d’enfance, offre une réflexion universelle sur la nature de l’amour conjugal et son évolution au fil du temps.
Mouvement 1 : Une relation empreinte de pudeur et de rituel
Du début jusqu’à “ouvert en cœur.”
“Je n’avais pas plus de treize ans quand je remarquai que mon père cessait de voir, au sens terrestre du mot, sa « Sido » elle-même…” : cette phrase d’ouverture établit le contexte temporel et introduit le thème central : la perception idéalisée que le père a de sa femme. L’expression “au sens terrestre du mot” suggère une vision qui transcende la réalité physique.
Le dialogue qui est narré au discours direct nous fait plonger dans la scène qui s’est déroulée à l’époque, entre le père et la mère, et avec la petite Colette pour témoin : l’exclamation du père “— Encore une robe neuve ? s’étonnait-il. Peste, Madame !” révèle son incapacité à percevoir le vieillissement de sa femme. Il la voit toujours comme une jeune femme élégante, constamment renouvelée.
La femme répond sérieusement et marque son étonnement face à la perception erronée de son mari : “— Neuve ? Colette, voyons !… Où as-tu les yeux ?”. Sido fait même appel à sa fille pour confirmer la réalité, soulignant le contraste entre la perception du père et celle des autres.
Sido, la mère, insiste sur l’âge de la robe, montrant sa fierté d’économie et de soin : “— Trois ans, Colette, tu m’entends ? Elle a trois ans !… Et ce n’est pas fini ! ajoutait-elle avec une hâte fière. Teinte en bleu marine…” Le détail de la teinture souligne ses efforts pour maintenir l’apparence de la robe.
Le moment du passé s’efface lorsque le père glisse à ce moment-là dans un passé encore plus lointain : “Mais il ne l’écoutait plus. Il l’avait déjà jalousement rejointe, dans quelque lieu élu où elle portait chignon à boucles anglaises et corsage niché de tulle, ouvert en cœur.” Cette phrase révèle que le père est perdu dans ses souvenirs, voyant sa femme comme elle était dans sa jeunesse. Le corsage ouvert en coeur suggère l’amour charnel et l’adverbe “jalousement” suggère son désir de préserver cette image idéalisée.
Ce passage de Sido, construit sur un dialogue entre le capitaine et Sido, l’amour entre les parents, la simplicité de leur relation, ils se parlent de manière naturelle et complice. Le passage montre aussi l’amour du père de Colette pour sa femme, un amour qui peut transcender la réalité physique.
Mouvement 2 : La persistance de l’amour malgré le temps qui passe
De “En vieillissant” jusqu’à “ridée”.
Colette montre ainsi comment son père, en vieillissant, conserve une image idéalisée de sa femme. Il semble la voir toujours jeune, ignorant les signes du temps qui passe sur elle.
Le déni du père face au vieillissement et à la fragilité de sa femme est également une marque d’amour tendre du père envers sa femme : “En vieillissant, il ne tolérait même plus qu’elle eût mauvaise mine, qu’elle fût malade.” L’utilisation du subjonctif imparfait (“eût”, “fût”) souligne le caractère irréel de cette perception. Son incapacité à accepter la fin inéluctable d’un être si cher fait que le père rejette l’idée même de la maladie, qui pourrait être précurseur de la fin (“Il lui jetait des « Allons ! allons ! » comme à un cheval qu’il avait seul le droit de surmener”). Cette phrase où Sido est comparée à une monture montre le lien entre les deux parents, un lien d’interdépendance comme celui d’un cavalier avec son cheval qu’il rudoie mais qu’il affectionne.
La réaction de Sido est éludée : “Et elle allait…” Cette courte phrase, terminée par des points de suspension, suggère la soumission de Sido, mais aussi peut-être une forme de résignation et/ou de complicité.
Colette a observé enfant la relation de ses parents entre eux et malgré la complicité dont elle a été témoin, elle s’étonne de ne pas les avoir vus se témoigner un amour plus démonstratif (“Je ne les ai jamais surpris à s’embrasser avec abandon”). Cette observation de Colette souligne en effet la retenue du couple dans leurs manifestations d’affection.
Réfléchissant à cette pudeur, Colette l’attribue à sa mère, suggérant que son père aurait été plus démonstratif si cela n’avait tenu qu’à lui (“D’où leur venait tant de pudeur ? De « Sido », assurément. Mon père n’y eût pas mis tant de façons…”). Cette pensée et ce qu’elle recouvre peut sembler surprenant dans le contexte des relations conjugales au tout début du XXe siècle, où la pudeur était de mise.
Décidément, le capitaine n’avait d’yeux que pour “Sido” (“Attentif à tout ce qui venait d’elle, il écoutait son pas vif, l’arrêtait au passage”) et leur couple avait ses propres codes :
“— Paye ! lui ordonnait-il en désignant sa pommette nue au-dessus de sa barbe. Ou on ne passe pas” : ce rituel du “péage” illustre une forme de jeu amoureux entre les époux.
Quelle était la réaction de Sido ? “Elle « payait », au vol, d’un baiser vif comme une piqûre, et s’enfuyait, irritée, si mes frères ou moi l’avions vue « payer».” Cette dernière phrase révèle la connivence amoureuse des parents de Colette et la discrétion de ces moments d’intimité, ainsi que la gêne de Sido à être observée dans ces instants. La comparaison du baiser à une “piqûre” suggère sa brièveté et son intensité.
Ainsi, ce passage illustre la vivacité de l’amour et de la complicité au sein du couple parental, et ce, malgré les années qui passent.
Mouvement 3 : La peur de la séparation et l’intensité du lien
De “il trembla” jusqu’à la fin.
La fin du passage évoque la crainte du père de voir sa femme mourir avant lui, un sentiment que Colette qualifie de “souhait sauvage”.
“Une seule fois, en été, un jour que ma mère enlevait de la table le plateau du café, je vis la tête, la lèvre grisonnantes de mon père, au lieu de réclamer le péage familier, penchées sur la main de ma mère avec une dévotion fougueuse, hors de l’âge, et telle que « Sido », muette, autant que moi empourprée, s’en alla sans un mot” : cette longue phrase décrit un moment exceptionnel d’intimité entre les parents de Colette.
L’expression “une seule fois” souligne le caractère exceptionnel de l’événement. La description détaillée (“la tête, la lèvre grisonnantes”) met en évidence l’âge du père. Le contraste entre le “péage familier” habituel et cette “dévotion fougueuse” accentue l’intensité du moment. La réaction de Sido et de Colette (“muette”, “empourprée”) révèle leur surprise et leur gêne face à cette démonstration d’affection inhabituelle.
Colette est témoin de cet amour parental. Elle se décrit elle-même sans complaisance (“assez vilaine”) et évoque les préoccupations typiques de cet âge : “J’étais petite encore, assez vilaine, occupée comme on l’est à treize ans de toutes choses dont l’ignorance pèse, dont la découverte humilie.” Cette phrase situe Colette dans son adolescence, une période d’incertitudes et de découvertes.
Colette souligne ici l’importance de ce vécu pour sa construction : “Il me fut bon de connaître, et de me remettre en mémoire, par moments, cette complète image de l’amour : une tête d’homme, déjà vieux, abîmée dans un baiser sur une petite main de ménagère, gracieuse et ridée.” Elle exprime ici l’importance de ce souvenir dans sa compréhension de l’amour. La description poétique (“une tête d’homme, déjà vieux, abîmée dans un baiser”) crée une image touchante et intime.
La crainte de la séparation inéluctable est toujours vue du point de vue du père, qui la ressent ou l’exprime davantage que sa femme : “Il trembla, longtemps, de la voir mourir avant lui. C’est une pensée commune aux amants, aux époux bien épris, un souhait sauvage qui bannit toute idée de pitié.” Cette phrase révèle la profondeur de l’amour du père pour Sido, tout en généralisant ce sentiment à tous les couples amoureux. L’expression “souhait sauvage” souligne l’aspect irrationnel de ce désir.
Sido est lucide et sereine face à la mort (« Sido », avant la mort de mon père, me parlait de lui, aisément soulevée au-dessus de nous”).
Sa crainte révèle cependant l’intensité de l’attachement et la dépendance émotionnelle au sein du couple : elle affirme ne pas pouvoir mourir avant son mari de peur qu’il ne se suicide, soulignant la réciprocité de cet amour profond et la connaissance intime que les époux ont l’un de l’autre (” Il ne faut pas que je meure avant lui. Il ne le faut absolument pas ! Vois-tu que je me laisse mourir, et qu’il se tue, et qu’il se manque ? Je le connais…, disait-elle d’un air de jeune fille”).
Les paroles de Sido révèlent sa profonde compréhension de son mari et son désir de le protéger, même au-delà de la mort. L’expression “d’un air de jeune fille” suggère que cet amour la rajeunit et la vivifie.
Conclusion
À travers ces trois mouvements, Colette offre un portrait touchant et nuancé de l’amour conjugal, observé à travers le prisme de ses souvenirs d’enfance et d’adolescence. Elle parvient à capturer la complexité des sentiments, mêlant pudeur, tendresse, idéalisation et dépendance, tout en soulignant la persistance de cet amour face au temps qui passe.
☞Analyse linéaire du chapitre “le capitaine” (Sido)
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