Commentaire linéaire : Vénus Anadyomène de Rimbaud pour l’oral du Bac de français

Le recueil Les cahiers de Douai de Rimbaud est au programme du Bac de français depuis cette année. On y trouve notamment le poème “Vénus anadyomène” qui est l’un des plus célèbres. “Anadyomène” signifie en grec « sortie des eaux ». Le poème de Rimbaud fait en effet référence à la mythologie et à la naissance de Vénus à partir des parties génitales de son père, le dieu Ouranos. Vénus est la déesse de la beauté, mais dans le poème de Rimbaud, la beauté prend une autre dimension.

Découvrez notre commentaire linéaire complet du poème pour préparer l’oral du Bac de français.

Commentaire linéaire pour le Bac de français – “Vénus anadyomène”, Rimbaud (Les cahiers de Douai )

Vénus anadyomène 

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;

Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.

Oral du Bac de français : quelques rappels

L’examinateur va tirer au sort un texte parmi les 16 textes que vous allez présenter (dans un porte-vues, sans annotations). Il va aussi vous donner une question de grammaire à préparer.

Vous allez ensuite préparer le texte c’est-à-dire vous rappeler de ce que vous avez normalement appris ou préparer rapidement un plan de commentaire si vous n’avez pas révisé.

Ensuite vous avez 12 minutes pour présenter le texte et répondre à la question de grammaire.

Puis vous allez présenter votre oeuvre choisie. L’examinateur va ensuite échanger avec vous (8 minutes).

🧠 N’oubliez pas votre convocation !

Introduction

“Vénus anadyomène” est un sonnet apparaissant dans Les Cahiers de Douai, un recueil de 22 poèmes écrits par le poète français Arthur Rimbaud pendant son adolescence. La plupart des poèmes ont été écrits lors d’une fugue du jeune homme, entre 1870 et 1872. Dans ces écrits, Rimbaud exprime ses réflexions profondes sur l’amour, la révolte, la quête de sens et la recherche de liberté. Le poème “Vénus anadyomène” reprend un thème classique de la mythologie romaine. On peut se demander en quoi ce poème est parodique. Dans un premier temps, nous verrons l’émergence et le dévoilement progressif d’un corps féminin puis nous analyserons le désir de provocation de Rimbaud, également projet esthétique.

Mouvement 1 : les trois premières strophes (une seule phrase)

Émergence et dévoilement progressif d’un corps féminin

1- Premier quatrain

  • Le poème s’ouvre sur une comparaison, ce qui n’est pas rare dans la tradition du sonnet que connaît très bien l’écolier Rimbaud. Seul le comparant est d’abord dévoilé, l’image d’un «cercueil», objet lié la mort, alors que la naissance de Vénus se fait dans la mer selon la mythologie.
  • Les caractéristiques de matière et de couleur (« vert en fer blanc ») semblent d’abord étranges pour un cercueil mais leur association laisse d’emblée une impression froide et glauque
  • Le contre-rejet “une tête…de femme” crée un effet saisissant en isolant la « tête » en fin de vers, comme si elle se trouvait séparée du corps de la femme. 
  • le poème mime la perception qu’on peut avoir d’un corps émergeant d’une baignoire
  • Mais il s’agit peut-être aussi de décapiter le mythe de Vénus
  • La rime entre « tête » et « bête » accentue le traitement dégradant de l’apparition. 
  • Le premier détail du corps de la femme décrit, ce sont des « cheveux bruns fortement pommadés » donc des cheveux ternes et gras. L’image est repoussante.
  • ➡️Le jeune poète ici s’amuse aussi à nous montrer sa « Vénus » de dos ! (cheveux, omoplates, dos, reins, échine, croupe) => il crée ainsi un effet d’attente. 
  • Le vers 3 nous donne enfin le verbe accompagnant le sujet « une tête » (« émerge »), « d’une vieille baignoire ».
  • L’adjectif « vieille », qui caractérise la « baignoire », semble pouvoir s’appliquer aussi à la tête elle-même, dans une sorte de continuité négative avec les adjectifs « lente et bête » ; 
  • Le dernier vers du quatrain exhibe les défauts du corps décrit, alors que Vénus, au contraire, est toujours chantée pour sa beauté.
  • Les sonorités peu harmonieuses mettent ces défauts en évidence. 
  • L’adjectif « ravaudés » qui vient du verbe “ravauder” qui signifie « recoudre à l’aiguille de vieux vêtements» : la femme est associée à une vieille chose rafistolée. 

2- Second quatrain

  • Après l’émergence de la tête, le second quatrain poursuit l’évocation avec le cou et le dos, jusqu’aux reins 
  • le « gris » amène une palette de couleurs ternes et sales (en opposition à la traditionnelle blancheur brillante de Vénus). 
  • « les larges omoplates » sont associées au rejet de la proposition relative « qui saillent » en début de vers 6, cela met en valeur la peau distendue d’un corps vieillissant
  • Le contraste entre les « larges omoplates » et le « dos court » souligne la disproportion du corps décrit
  • ➡️ La scène, si on la visualise, prend une dimension comique.
  • Ainsi, la maladresse du mouvement s’ajoute à la disgrâce du corps.
  • Le détail dans la description (« La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ») cherche à créer le dégoût. 
  • Le schéma de rimes  un peu inhabituel crée également de la dysharmonie.

3- Premier tercet

  • Ainsi, le regard du lecteur poursuit sa descente le long du dos de la femme.
  • Le terme « échine » appartient au vocabulaire animal, ce qui est en soi une façon de dégrader le corps féminin ; pareil avec le vers 13 et le nom « croupe » ;
  • ce lexique vient en outre faire écho à l’adjectif « bête » du vers 3.

➡️ L’évocation est péjorative, la femme étant assimilée à un simple assemblage de différentes parties et comparée à un animal.

  •  (« sent un goût ») :  Rimbaud accentue la sensation de vague dégoût qu’il cherche à susciter avec une synesthésie à caractère négatif.
  • L’expression « Horrible étrangement » c’est un signe de la nouvelle poésie de Rimbaud : la beauté n’est pas seulement une projection idéale, elle est plus complexe (cf. la phrase de Baudelaire : « Le beau est toujours bizarre »). 
  • Avec l’introduction du pronom indéfini « on », Rimbaud met en scène un « voyeur », ou une invitation au lecteur à s’approcher pour mieux voir. Les points de suspension viennent créer une pause, une mise en attente qui dramatise de manière parodique la « révélation » qui suit.

Mouvement 2 : le dernier tercet

Un désir de provocation qui est aussi un projet esthétique

vers 12

  • Le dernier tercet, isolé dans une nouvelle phrase après les points de suspension, joue sur un double effet de chute : la révélation du lien entre le poème et son titre (vers 12) et le gros plan obscène du dernier vers (vers 14). 
  • Détaillons d’abord le premier effet de chute : le dévoilement du tatouage « Clara Venus » en bas du dos, qui vient éclairer le titre du poème. Le terme « Clara » vient de l’adjectif latin « clarus » qui signifie « clair, illustre, brillant », on peut donc lire le tatouage comme une expression latine signifiant « Illustre Vénus », c’est un détail incongru : un tatouage sur un corps de femme âgée. 
  • Nous sommes face à une parodie de la naissance de Vénus, qui met en évidence la dégradation d’un corps abîmé et vieilli, sur lequel un tatouage de jeunesse devient cruellement décalé. La femme décrite est probablement une prostituée. Des indices sont en effet placés dans le fil du poème pour mener le lecteur à construire cette image. 
  • ➡️ On hésite alors entre une interprétation purement parodique et provocatrice du poème et la mise en évidence d’une intention beaucoup plus profonde, une intention de penser autrement la beauté et de commencer une poésie nouvelle.

vers 13-14

  • Le fait d’accompagner progressivement le regard du lecteur jusqu’au détail impudique et repoussant de l’« ulcère à l’anus » dans un poème intitulé « Venus anadyomène » montre le désir rageur de profaner du jeune Rimbaud.
  • L’oxymore « Belle hideusement » invite à dépasser les conventions esthétiques et invite à saisir la beauté ailleurs que dans les formes convenues

Conclusion

Plus tard, dans le texte d’ouverture d’Une Saison en enfer, Rimbaud écrira : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. » Il y a d’abord un désir d’injurier en effet, de malmener, de désacraliser chez Rimbaud, un désir de rompre et de se dresser contre afin de gagner la « liberté libre » qu’il adore. Mais l’art du jeune poète ne se réduit pas à une railleuse et brillante provocation : dès les Cahiers de Douai, c’est la voie d’une création singulière qui se dessine. La « Venus anadyomène » est un texte certes joyeusement subversif mais c’est aussi une façon radicale d’interroger les canons de beauté et les modèles poétiques. Rimbaud initie déjà une recherche artistique de la beauté dans la laideur.

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