Manon Lescaut, roman emblématique de l’Abbé Prévost publié en 1731, est une œuvre incontournable du programme de littérature pour le bac de français, s’inscrivant dans l’objet d’étude Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle. Ce récit passionnel, relatant l’histoire d’amour tumultueuse entre le chevalier Des Grieux et Manon, mêle passion, souffrance et fatalité. À travers la destinée tragique des personnages, la critique des normes sociales du XVIIIe siècle et une écriture empreinte d’émotion, l’œuvre soulève une question essentielle : peut-on considérer Manon Lescaut comme une véritable tragédie ? Cette dissertation propose d’explorer cette problématique en analysant les éléments tragiques dans la destinée des personnages, la dimension sociale et morale de la tragédie, ainsi que l’écriture et la structure du roman comme vecteurs du tragique. Une modèle complet de dissertation pour préparer efficacement votre épreuve écrite du bac de français.

Dissertation Manon Lescaut : Dans quelle mesure Manon Lescaut de l’Abbé Prévost est-il un roman tragique ?
Pour situer l’oeuvre, consulter ceci :
- La question que propose le sujet est LA PROBLÉMATIQUE.
- Définition du tragique : Le tragique est un registre littéraire qui met en scène des personnages confrontés à un destin inéluctable, souvent marqué par la fatalité, la souffrance et la mort. Il se caractérise par des dilemmes insolubles, des conflits intérieurs et une lutte vaine contre des forces supérieures, qu’elles soient divines, sociales ou psychologiques.
- La situation dans laquelle se trouvent Manon et Des Grieux est bien tragique, les deux personnages sont eux-mêmes des anti-héros tragiques.
- La réponse à la problématique est indéniablement OUI, et dans “quelle mesure” appellera une réponse concernant le plan des personnages et du destin (partie 1), le plan de la morale (2) et le plan de l’écriture (3) par exemple.
- Nous ferons donc schématiquement un plan de type :
I. Oui car…
II. Oui car…
III. Oui car…
Voici donc notre proposition de dissertation complète en 3 parties :
Introduction
L’Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, roman publié en 1731 par l’Abbé Prévost, narre la passion destructrice entre le jeune Des Grieux et la séduisante Manon. Le roman, oscillant entre passion et raison, explore les conséquences dévastatrices d’un amour qui défie les conventions sociales du XVIIIe siècle. Cette œuvre explore la descente progressive du couple dans la marginalité, soulevant la question suivante : dans quelle mesure Manon Lescaut peut-il être considéré comme un roman tragique ? Nous analyserons d’abord les éléments tragiques de l’oeuvre (I), puis dans un second temps nous nous intéresserons à la dimension morale et sociale de la tragédie (II) avant de nous pencher sur l’écriture de l’oeuvre comme vecteur de tragique (III). Cette approche permettra d’examiner comment Prévost transforme une histoire d’amour passionné en une véritable tragédie, mêlant destin inexorable, critique sociale et innovations narratives.
I. Les éléments tragiques dans la destinée des personnages dans Manon Lescaut
- La fatalité et le destin
La rencontre entre Manon et Des Grieux est le fruit du destin et de la fatalité. En effet, elle se déroule dans la cour d’une auberge, alors que ce dernier s’y trouve avec son ami Tiberge. Des Grieux est immédiatement captivé par la beauté de Manon, qui descend d’une caravane. Il engage la conversation et apprend qu’elle est destinée par ses parents à devenir religieuse. Des Grieux, décrivant cette scène comme sa première expérience d’attraction envers une femme, la trouve “charmante” et “plus expérimentée”. Impulsifs et naïfs, ils décident de s’enfuir ensemble à Paris, sans réaliser les conséquences de leur acte. La narration de Des Grieux souligne l’intensité de leur rencontre et sa fascination immédiate pour Manon. Il perçoit déjà dans ses yeux les malheurs à venir, mais leur comportement reste celui d’adolescents rebelles.
Leur amour rebelle est impossible car ils sont de classes sociales différentes. Sont-ils alors vraiment maîtres de leurs choix ? Leur fuite à Paris, motivée par la recherche de liberté et de bonheur loin des normes sociales, se heurte rapidement à des difficultés financières. Manon refuse la proposition de mariage de Des Grieux, consciente que sa famille ne l’accepterait pas en raison de leur différence sociale. Leur idylle est de courte durée : Des Grieux découvre Manon avec un homme plus âgé et fortuné, ce qui le bouleverse profondément, étant son premier amour. Cette trahison, possiblement motivée par le manque d’argent, conduit à l’enlèvement de Des Grieux par ses frères. Enfermé pendant six mois par son père, qui tente de le convaincre de la nature intéressée de Manon, Des Grieux reste aveuglé par sa passion. Malgré une période où il semble l’oublier en reprenant ses études, il succombe à nouveau au charme de Manon lorsqu’elle vient lui demander pardon, abandonnant une fois de plus ses responsabilités pour s’enfuir avec elle.
- La faiblesse humaine et les passions destructrices
La passion dévorante de Des Grieux pour Manon révèle les faiblesses humaines face à un amour aveuglant et destructeur. Consumé par son désir, Des Grieux sacrifie tout – famille, études, morale – pour satisfaire les caprices de Manon et assouvir sa propre soif de liberté. Cette obsession le pousse vers une spirale d’immoralité, le conduisant à s’adonner aux jeux d’argent et à d’autres actes répréhensibles. Manon incarne la fragilité humaine face aux tentations du luxe et du plaisir. Sa beauté séduisante devient une arme à double tranchant, lui permettant de manipuler les hommes riches tout en la condamnant à la marginalisation sociale. Rejetée par la société bien-pensante et même sa propre famille, Manon est perçue comme une menace morale, illustrant ainsi la nature destructrice de la passion non seulement pour ceux qui la vivent, mais aussi pour l’ordre social établi. Cette passion dévastatrice entraîne les deux amants dans une spirale de déchéance, mettant en lumière la puissance des désirs humains et leur potentiel de destruction.
L’obsession de l’argent dans Manon Lescaut s’avère être un obstacle majeur à la stabilité de la relation entre Des Grieux et Manon, c’est une faiblesse. Les périodes de dénuement financier sont particulièrement éprouvantes pour le couple, surtout pour Des Grieux. Manon, attirée par le luxe et les plaisirs, se fait entretenir par des hommes fortunés. Cette situation pousse progressivement Des Grieux à participer à des escroqueries pour maintenir leur train de vie. Ces activités illicites attirent l’attention des autorités : les hommes trompés portent plainte, conduisant à l’emprisonnement de Manon et Des Grieux.
II. La dimension sociale et morale de la tragédie
- Le poids des normes sociales…
Dans Manon Lescaut, le destin tragique des amants se déroule dans le contexte social du XVIIIe siècle, où les options pour les femmes étaient limitées au mariage, à des basses besognes ou à la prostitution. Le destin de la plupart des femmes était donc inévitablement tragique et il en était de même pour les couples illégitimes. La fuite de Des Grieux et Manon en Amérique marque un tournant décisif dans leur histoire. Après avoir provoqué en duel le neveu du Gouverneur, Des Grieux, blessé, s’enfuit avec Manon dans le désert. Leur vie de fugitifs s’avère difficile, particulièrement pour Manon, habituée au confort. Ils tentent de rejoindre une colonie anglaise en Amérique à travers le désert, mais Manon, épuisée, s’effondre et meurt. Des Grieux, dévasté, enterre Manon et se couche sur sa tombe, attendant la mort. Tiberge le sauve et le ramène en France où il apprend la mort de son père, décédé de chagrin suite à son départ. Ce dénouement tragique illustre les conséquences dévastatrices d’une passion qui défie les conventions sociales de l’époque.
Cette relation, non conforme aux conventions de leur milieu, devient le symbole de leur défi lancé à la société et à son fonctionnement rigide. La fuite à Paris est leur première tentative désespérée de créer un espace où leur amour peut exister sans jugement ni restriction. Cependant, cette évasion ne fait que souligner l’impossibilité de fuir les inégalités et les injustices sociales qui les entourent, même s’ils ont essayé de les suivre. Les difficultés financières, les trahisons et les arrestations répétées montrent que malgré leur volonté de vivre librement, des Grieux et Manon sont constamment ramenés à la dure réalité de leur époque. La pression sociale ne cesse de les poursuivre, rendant leur quête de bonheur toujours plus tragique et inatteignable.
B)… et morales
Dans Manon Lescaut, l’Abbé Prévost explore la dimension morale de la tragédie à travers le conflit entre passion et vertu. Des Grieux, aveuglé par son amour pour Manon, s’écarte progressivement des valeurs morales prônées par son ami Tiberge. Ce dernier incarne une vision du bonheur fondée sur la vertu, la raison et le respect des conventions sociales. En revanche, Des Grieux défend une conception passionnée du bonheur, où les souffrances et les sacrifices sont justifiés par l’intensité de l’amour. Pourtant, cette quête d’un bonheur hors des normes sociales entraîne le jeune homme dans une série d’actes immoraux – abandon de ses études, escroqueries et marginalisation – qui le conduisent à sa propre déchéance.
Le roman met également en lumière la tragédie morale de Manon, dont les choix sont dictés par son attrait pour le luxe et la liberté. Rejetée par les conventions sociales en raison de sa condition et de ses actions, elle devient un symbole de transgression. Cependant, les malheurs qui frappent le couple – trahisons, emprisonnements et exil – apparaissent comme des châtiments inévitables pour leurs actes. À travers ce récit, l’Abbé Prévost invite le lecteur à réfléchir sur les conséquences destructrices d’une passion débridée et sur la nécessité de concilier amour et morale. La fin tragique du roman, où Des Grieux reconnaît qu’il aurait dû écouter les conseils de Tiberge, consacre finalement la vertu comme un idéal supérieur, tout en laissant entrevoir l’irrésistible force des passions humaines.
La dimension morale de la tragédie dans Manon Lescaut s’intensifie lors de la deuxième fuite du couple à Paris, illustrant les conséquences dévastatrices de leurs choix immoraux. L’introduction de Lescaut, le frère de Manon, comme figure corruptrice, marque un tournant décisif dans leur déchéance morale. Lescaut (le frère de Manon) initie Des Grieux aux jeux d’argent et à la tricherie, symbolisant l’abandon des valeurs morales au profit du gain facile. Cette descente dans l’immoralité reflète la fragilité des principes face aux tentations matérielles. Manon, sous l’influence de son frère, manipule un riche vieillard, M. de Griche, illustrant comment la quête effrénée de confort matériel peut conduire à la perte de l’intégrité morale. Ensuite, il y a l’escalade vers le crime : l’arnaque orchestrée contre M. de G, avec la complicité de Lescaut, représente le point culminant de leur dégradation morale. La punition qui s’ensuit – l’emprisonnement – apparaît comme une conséquence inévitable de leurs actes répréhensibles. Puis nous assistons à la transformation tragique de Des Grieux : son évasion de prison et le meurtre accidentel du portier marquent sa métamorphose complète. D’un jeune homme vertueux, il devient un criminel, illustrant comment l’amour passionnel peut conduire à la perte totale des repères moraux. L’exil intervient comme un ultime châtiment : la déportation en Louisiane symbolise non seulement leur rejet par la société, mais aussi l’échec de leur quête d’un bonheur fondé sur des valeurs corrompues. C’est l’aboutissement tragique d’une vie menée en marge de la morale. La mort de Manon dans le désert américain représente l’apothéose tragique de leur histoire.
Cette progression tragique souligne comment la transgression des normes morales, motivée par l’amour et le désir de richesse, conduit inexorablement à la ruine personnelle et sociale. L’Abbé Prévost, à travers ce récit, offre une réflexion profonde sur les conséquences morales des passions débridées et l’impossibilité de concilier une vie vertueuse avec la poursuite effrénée du plaisir et de la richesse
III. L’écriture et la structure du roman : vecteurs du tragique
a) La narration rétrospective et l’ironie tragique
Dans Manon Lescaut, l’Abbé Prévost utilise une narration rétrospective qui confère au récit une dimension tragique particulière. L’histoire est racontée par Des Grieux lui-même, un narrateur interne, qui relate ses mésaventures à Renoncour, créant ainsi une structure en récit enchâssé. Ce procédé narratif permet de plonger le lecteur dans une perspective subjective, où les événements sont filtrés par les émotions et les souvenirs du protagoniste. Cependant, cette focalisation interne laisse parfois le lecteur dans le doute, car Des Grieux embellit ou minimise certains aspects de son récit, renforçant ainsi l’ambiguïté morale de ses actions. L’ironie tragique joue également un rôle central dans la narration. Par exemple, le lecteur perçoit dès le début que Manon est manipulatrice et infidèle, alors que Des Grieux reste aveuglé par son amour pour elle. Cette dissonance entre ce que sait le lecteur et ce que croit le narrateur accentue le sentiment d’inéluctabilité du drame. Des moments de pressentiment, comme lorsque Des Grieux évoque ses malheurs futurs (« Je suis né dans une condition qui avait de quoi me rendre heureux, si la fatalité n’eût dirigé toutes mes actions »), ajoutent une couche supplémentaire de fatalité au récit. La narration rétrospective devient ainsi un outil puissant pour souligner l’impuissance des personnages face à leur destin.
b) Les thèmes récurrents du tragique
Le roman est traversé par des thèmes profondément tragiques tels que la perte, la souffrance et la mort. Ces éléments sont omniprésents dans le récit et marquent chaque étape de la relation entre Des Grieux et Manon. La mort de Manon dans un désert isolé symbolise l’aboutissement inévitable de leur passion destructrice et illustre l’impossibilité d’échapper à leur condition. De plus, des motifs récurrents comme les prisons, les voyages ou l’enfermement soulignent l’idée d’une existence marquée par la contrainte et la fatalité. Le style de Prévost contribue également à renforcer la dimension tragique. L’utilisation fréquente du pathétique dans les descriptions des souffrances de Des Grieux ou de Manon suscite une forte empathie chez le lecteur. Par exemple, les hyperboles et les exclamations dans les moments clés amplifient l’intensité émotionnelle : « Je croyais ma chère maîtresse endormie », dit Des Grieux en découvrant la mort de Manon – une phrase où l’ironie tragique se mêle au désespoir.
Cette écriture dramatique vise à provoquer une catharsis chez le lecteur, qui partage avec les personnages leurs douleurs et leurs épreuves.
En somme, l’écriture et la structure narrative de Manon Lescaut ne se contentent pas de raconter une histoire d’amour impossible ; elles mettent en scène un véritable drame humain où chaque choix mène inexorablement à la perte. À travers ces procédés littéraires, Prévost transforme cette œuvre en une réflexion poignante sur les passions humaines et leur pouvoir destructeur.
Conclusion
Manon Lescaut de l’Abbé Prévost peut indéniablement être considéré comme une œuvre tragique, comme le démontrent les trois aspects analysés. Premièrement, les éléments tragiques dans la destinée des personnages sont omniprésents. Des Grieux et Manon sont victimes d’une passion dévorante qui les mène inexorablement vers leur perte, illustrant l’impuissance des êtres humains face à leurs désirs et à la fatalité. Leur descente aux enfers, ponctuée de trahisons, d’exils et culminant avec la mort de Manon dans le désert, incarne l’essence même de la tragédie. Deuxièmement, la dimension sociale et morale de la tragédie est au cœur du roman. L’œuvre met en lumière le conflit entre les conventions sociales rigides du XVIIIe siècle et les aspirations individuelles des protagonistes. Manon, en particulier, devient une figure tragique en raison de son statut social et de son sexe, condamnée par une société hypocrite qui lui refuse le droit de vivre librement .Enfin, l’écriture et la structure du roman servent de puissants vecteurs du tragique. La narration rétrospective, empreinte d’ironie tragique, et le style pathétique de Prévost renforcent l’impact émotionnel du récit. Les thèmes récurrents de la perte, de la souffrance et de la mort, ainsi que les motifs d’enfermement, créent une atmosphère de fatalité qui imprègne l’ensemble de l’œuvre.
Ainsi, Manon Lescaut s’inscrit pleinement dans la tradition tragique, offrant une réflexion profonde sur les passions humaines, les contraintes sociales et l’inéluctabilité du destin. L’Abbé Prévost a su créer une œuvre qui, tout en divertissant, invite le lecteur à méditer sur la condition humaine et les conséquences dévastatrices d’un amour qui défie les normes sociales et morales de son époque.
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