Comment devient-on polyglotte ? Épisode 1 : polyglotte, multilingue ou bilingue, de quoi parle-t-on ?

Il y a autant de raisons et de manières d’apprendre une multitude de langues que de polyglottes eux-mêmes. Mais au fait, qu’est-ce qu’un(e) polyglotte ? Répondre à cette question n’est pas aisé, alors nous allons développer notre réflexion en plusieurs épisodes. Voici le premier, qui s’attache à définir ce qu’est un(e) polyglotte.

Photo de Olha Ruskykh sur Pexels.com

Comment devient-on polyglotte ? Épisode 1 : polyglotte, multilingue ou bilingue, de quoi parle-t-on ?

Polyglotte, multilingue ou bilingue ? Quelques définitions

Le choix du bon terme pour désigner quelqu’un qui parle plusieurs langues peut se révéler être plus « piégeux » qu’il n’y parait.

Selon Charlotte Kemp (The Exploration of Multilingualism: Development of research on L3 multilingualism and multiple language acquisition, Chap. 2 : Defining multiculturalism) la plupart des chercheurs utilisent une distinction binaire : le terme « bilingue » (bilingual) pour les personnes qui parlent 2 langues et « multilingue » (multilingual) pour celles qui en parlent 3 ou plus.

D’autres distinctions binaires font la différence entre ceux qui ne parlent qu’une langue (monolingues ou « monolinguals« ) et ceux qui en parlent plus d’une.

Dans tous les cas, ces définitions ne prennent pas en compte la distinction entre ceux qui en parlent 2 et ceux qui en parlent 3 ou 4, ceux qui en parlent 5 et ceux qui en parlent 7, etc. Pourtant, et Charlotte Kemp le confirme, il existe bien des différences qualitatives et quantitatives entre les personnes qui parlent 2 langues et celles qui en parlent 3 par exemple.

 Sous la direction de Larissa Aronin et Britta Hufeisen, The Exploration of Multilingualism: Development of research on L3 multilingualism and multiple language acquisition, 2009

Certains chercheurs en multilinguisme ne mettent pas tout le monde dans le même sac et prennent heureusement soin de distinguer les personnes en fonction du nombre de langues qu’elles parlent : on peut être trilingue, quadrilingue, quintilingue, sextilingue, etc.

Charlotte Kemp précise que les personnes multilingues n’ont pas besoin d’avoir des compétences équivalentes dans toutes les langues qu’elles parlent et que le terme « polyglotte » (polyglot) est parfois utilisé comme synonyme du terme « multilingue« . Dans le monde francophone, le terme « plurilingue » est également employé pour distinguer les individus par opposition à la situation d’une société (qui reste, elle, « multilingue »).

Enfin, à l’échelle d’une nation ou d’un pays, quand des personnes parlent plusieurs langues, on parle de « multilinguisme« .

Qu’est-ce qu’un(e) polyglotte alors ?

Étant donné que la recherche, quel que soit le domaine, s’est finalement très peu penchée sur les polyglottes (en revanche le multilinguisme a été beaucoup étudié), il n’existe pas de définition standard, consensuelle, de ce qu’est un polyglotte.

Le dictionnaire CNRTL par exemple propose la définition suivante de l’adjectif

polyglotte (adj) : Qui parle plusieurs langues (CNRTL)

On notera que le nom « polyglotte » n’est pas référencé. Le Larousse donne la même définition, tout en précisant que le mot existe en tant que nom. nous voilà bien avancés…

Du côté de l’anglais, le dictionnaire nous donne la définition suivante :

polyglot : speaking or writing several languages (qui parle ou écrit plusieurs langues) (Merriam Webster)

Mais on continue à se demander à partir de combien de langues on devient polyglotte.

Du côté de la recherche, on trouve les définitions suivantes :

Les polyglottes sont « des personnes qui (a) ont un certain niveau de compétence dans au moins cinq langues (leur langue maternelle et quatre autres langues) et (b) ont un niveau de compétence avancé dans au moins une langue autre que leur langue maternelle » Jouravlev et Al. (2021), traduction personnelle

Ce qui est intéressant dans cette définition c’est qu’elle fixe comme critères un niveau de compétence (peu importe lequel) dans 4 autres langues à part notre langue maternelle ainsi qu’un niveau de maîtrise avancé d’1 seule autre langue à part la nôtre pour être considéré comme polyglotte.

Si Peter baragouine des mots dans 4 langues différentes et parle assez bien français en plus de l’anglais, sa langue maternelle, il est donc considéré polyglotte selon cette définition. Si vous pensiez que pour être polyglotte il est nécessaire de maîtriser parfaitement le français, l’anglais, le chinois, l’araméen et l’hébreu, vous voilà rassuré(e). Vous pouvez revoir vos objectifs à la baisse ! On notera que la définition ne précise pas ce qu’est « un certain niveau de compétence » : faut-il connaître quelques mots ? Savoir dire des phrases ? Écrire ? Comprendre ? Parler assez couramment ? De même, il n’est pas précisé ce qu’est un « niveau de compétence avancé ». Est-il le même pour toutes les langues ? Par exemple en chinois, le HSK définit comme niveau C1 (en niveaux du CECRL) la maîtrise de 2500 mots. Est-ce la même chose en français ? Probablement pas. Tout cela nous laisse sur notre faim pour savoir à partir de quand on peut être considéré polyglotte.

Pour être polyglotte, faut-il compter ?

On a tendance à beaucoup se focaliser sur le nombre de langues parlées par quelqu’un pour le définir comme un polyglotte. Est-ce juste ou faut-il plutôt s’attacher à la qualité de la maîtrise des langues, même si on en parle moins ? C’est un sujet très débattu parmi les polyglottes eux-mêmes.

Moses McCormick était un hyperpolyglotte (un hyperpolyglotte est quelqu’un qui parle plus de 10 langues) américain célèbre pour avoir étudié 70 langues et avoir été capable de parler 50 langues. Il a développé sa propre méthode pour apprendre les langues (la méthode FLR), et sa chaîne Youtube, laoshu505000, totalise actuellement plus de 1, 2 millions d’abonnés. Il estimait qu’on peut être capable d’avoir un niveau conversationnel dans n’importe quelle langue en 3 mois (ce qui rappelle Benny the Irish Polyglot). Si vous avez déjà eu l’expérience de l’apprentissage des langues et il y a fort à parier que c’est le cas, cette affirmation peut sembler osée. Même apprendre le français quand on est espagnol (et inversement) alors que les deux langues sont proches ne se fait la plupart du temps pas en 3 mois. Quoi qu’il en soit, McCormick est un exemple de polyglotte qui remporte le qualificatif de « polyglotte » pour le nombre de langues parlées à un niveau conversationnel, et probablement pas pour son niveau de maîtrise approfondi de ces langues.

Pour Tim Doner, également un jeune hyperpolyglotte qui parle plus de 20 langues, si la maîtrise parfaite devait être le critère, personne ne serait même considéré compétent dans sa propre langue !

Quelques critères communs aux polyglottes qui se considèrent comme tels

Finalement, en réfléchissant à qui peut être considéré polyglotte, ces éléments supplémentaires apparaissent en observant les polyglottes célèbres et les polyglottes de tous les jours qui se reconnaissent eux-mêmes comme tels :

  • le polyglotte est surtout quelqu’un qui se reconnaît avant tout comme tel et l’importance d’être reconnu par les autres semble relative
  • le polyglotte apprend de manière consciente et intentionnelle, ce qui le distingue de ceux qui sont nés ou ont évolué naturellement dans un contexte multilingue et qui ont appris plusieurs langues de manière « non intentionnelle », presque « accidentelle »
  • le polyglotte apprend les langues pour le plaisir, pour le « fun » plutôt que par obligation : cette notion revient chez tous les hyperpolyglottes célèbres (le prochain volet leur sera consacré)
  • le polyglotte fait essentiellement de l’auto-apprentissage
  • les polyglottes développent chacun leur propre méthode d’apprentissage (la méthode FLR de McCormick en 6 étapes, le « full circle » pour Lucas Lampariello qui parle 10 langues …)

Bilan de l’épisode 1

  • Déjà, il n’y a pas de définition admise par tous du terme « polyglotte ». D’après le dictionnaire, un polyglotte est simplement quelqu’un qui parle plusieurs langues
  • Les chercheurs parlent, eux, de plurilinguisme et de multilinguisme
  • Il n’y a pas de critères qui fixent le nombre de langues qu’il faut parler pour être considéré comme polyglotte
  • Il n’y a pas non plus de niveau de maîtrise à atteindre pour être considéré comme polyglotte
  • Certains hyperpolyglottes connus le sont parce qu’ils parlent un très grand nombre de langues, mais certains en parlent moins avec un niveau de maîtrise plus approfondi pour chacune
  • Un niveau de maîtrise total pour une langue est irréaliste et ne peut pas être un critère pour être considéré polyglotte
  • Finalement, plusieurs critères émergent pour nous permettre de définir un polyglotte tels que certains se perçoivent eux-mêmes : un polyglotte se reconnaît comme tel, il apprend intentionnellement les langues, il apprend pour le plaisir, en autodidacte et développe souvent sa propre méthode d’apprentissage.

L’épisode 2 de notre série Comment devient-on polyglotte ? se penchera sur les polyglottes célèbres pour tenter de comprendre comment se fabrique un polyglotte. Abonnez-vous au blog pour recevoir la notification dès la publication de ce volet !

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