Bac de français 2023 : Proposition de corrigé pour le sujet de commentaire de Diderot

Les sujets du Bac de français 2023 Métropole (série générale) sont tombés. Le commentaire portait donc sur la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe tandis que la dissertation portait sur le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle. Nous proposons dans cet article un modèle de corrigé pour le sujet de commentaire portant sur un texte de Diderot. Il faut savoir qu’il y avait une coquille dans le texte : le mot « lien » à la ligne 16 est en réalité le mot « lieu ».

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Le sujet complet du Bac de français 2023 est à télécharger ici :

Bac de français 2023 : Proposition de corrigé pour le sujet de commentaire de Diderot

Nous allons appliquer la méthode du commentaire écrit, telle que nous l’avons déjà expliquée plusieurs fois sur ce blog.

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Éléments importants

Connaissances générales à avoir :

  • Diderot est un philosophe du siècle des Lumières, il est l’auteur d’une oeuvre importante (avec d’autres auteurs comme D’Alembert mais aussi Voltaire, Rousseau et plusieurs autres) qui s’appelle L’Encyclopédie qui regroupe les connaissances de l’époque.
  • Les Lumières prennent des distances avec la religion pour promouvoir plutôt le rationalisme, la liberté, la foi en l’Homme.

Le texte en lui-même :

⚠️Cependant, malgré le « profil » de Diderot, ce texte n’a rien d’une argumentation.

⚠️Le texte relève en apparence de la littérature d’idées, on est tenté de se lancer dans une analyse de l’argumentation. Or, à la lecture du texte, le lyrisme apparaît clairement.

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Analyse du texte de Diderot (commentaire du Bac 2023)

Nous allons relever (sans être dans l’exhaustivité) les éléments du texte et les interpréter afin de dégager une problématique et des axes de commentaire.

ÉlémentsInterprétation

Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. 
emphase

Tout s’anéantit, tout périt, tout passe 
répétition de « tout » = exagération, emportement rhétorique

Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. 
anaphore / négation restrictive : après avoir annoncé juste avant de manière hyperbolique que « tout » périt, il précise ce qui ne périt pas et perdure

Qu’il est vieux ce monde ! 
exclamation + répétition du mot « monde » mentionné
omniprésence du « je » (et de ses marques : moi, me, ma, mon…)subjectivité lyrique, romantisme => le sujet est au 1er plan et raconte son expérience

Qu’est-ce que mon existence éphémère, (…) ?
question rhétorique; interrogation sur le sens de la vie, sur le caractère inexorable de la mort ; mort = thème associé au romantisme

(…) ce 5 rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête 
accumulation + évocation de la nature => thème cher au romantisme
L’homme face à la nature grandiose

Je vois le marbre des tombeaux tomber en poussière (l.7)
il ne s’agit pas d’une description du tableau mais d’une évocation, d’une vision
fin (l.4), tombeaux (l.8), mourir (l.8)champ lexical de la mort (cf. plus haut)
Phrases courtes au départ puis à partir de la ligne 3, les phrases deviennent longues, avec des propositions coordonnées (« et ») et juxtaposées (;)traduit l’émotion

et j’envie un faible tissu de fibres et de chair à une loi générale qui s’exécute sur le bronze ! 
faible tissu de fibres et de chair = l’Homme versus une loi générale = les lois de la nature => réflexion sur la condition humaine

Un torrent entraîne les nations les unes sur les autres, au fond d’un abîme commun ; moi, moi seul, je 10 prétends m’arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés ! 
le temps détruit tout et il réfléchit sur la prétention humaine à vouloir être au dessus de tout cela (le temps qui passe, la destruction, la mort)
répétition du pronom tonique « moi » (+ le pronom « je » juste aprèslyrisme qui met en exergue la prétention de l’humain à tenter de défier la nature
plusieurs points d’exclamation ponctuation expressive -> traduit exaltation -> lyrisme
Si le lieu d’une ruine est périlleux, je frémis. Si je m’y promets le secret et la sécurité, je suis plus libre, plus seul, plus à moi, plus près de moi. 

puis :

Si mon âme est prévenue d’un sentiment tendre, je m’y livrerai sans gêne. Si mon coeur est calme, je goûterai toute la douceur de son repos. 
plusieurs anaphores en « si »/ propositions subordonnées de condition / répétition de « plus », rythme binaire alternant avec un rythme ternaire = emportement lyrique
plus libre, plus seul, plus à moi, plus près de moi. (l.13)accumulation = traduit l’élan lyrique
C’est làanaphore qui met l’accent sur le lieu (les ruines)

C’est là que je sonde mon coeur. 
les ruines sont un lieu d’introspection, un lieu où l’auteur réfléchit sur lui-même

sans trouble, sans témoins, sans importuns, sans jaloux. 
accumulation + répétition = traduit l’élan lyrique
périlleux / sécurité = antithèse les ruines sont un lieu où Diderot se sent protégé
répétition du mot « sans » (l.14 et 15)énumère l’ensemble des nuisances et marque leur absence, elle fait écho à la répétition de « plus » quelques lignes auparavant

que je m’alarme et me rassure. (l.16)
antithèse : les ruines sont un lieu d’angoisse mais aussi de réconfort

De ce lien, jusqu’aux habitants des villes, jusqu’aux demeures du tumulte, au séjour de l’intérêt des passions, des vices, des crimes, des préjugés, des erreurs, il y a loin. 
contraste entre les ruines, lieu de tranquillité et la ville, lieu de l’agitation

Dans cet asile désert, solitaire et vaste (l.21)
complément de lieu qui fait référence aux ruines et met l’accent sur leurs caractéristiques

je n’entends rien, j’ai rompu avec tous les embarras de la vie. 
l’auteur s’y trouve à l’écart du monde

Personne ne me presse et ne m’écoute 
2 négations qui mettent en avant la solitude qu’on trouve dans les ruines

Je puis me parler tout haut
retour du « je » = l’expérience subjective de l’auteur
m’affliger, verser des larmes sans contrainte. mise en exergue des émotions et de la possibilité de les exprimer librement

Problématique possible

En quoi ce texte de Diderot est-il lyrique et annonce le romantisme ?

Plan possible

Pour répondre à cette problématique, en nous appuyant sur les éléments du tableau, nous proposons le plan suivant :

I. Constat du caractère inexorable de la mort à travers le « je » lyrique

a) le sujet est au 1er plan pour traduire les émotions que ressent Diderot face au tableau

->omniprésence du « je » (et de ses marques : moi, me, ma, mon…)

= lyrisme (registre et non mouvement littéraire)

b) Une ponctuation expressive qui appui l’élan lyrique

->question rhétorique; interrogation sur le sens de la vie, sur le caractère inexorable de la mort

Qu’est-ce que mon existence éphémère, (…) ?

exclamations : Qu’il est vieux ce monde ! / j’envie un faible tissu de fibres et de chair à une loi générale qui s’exécute sur le bronze ! / moi, moi seul, je 10 prétends m’arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés ! 

II. L’emphase contribue à créer l’élan lyrique

a) L’emphase transparait dans les figures de style

->répétitions, anaphores, exagérations, accumulations = emportement rhétorique lyrique

ex: Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. 

ex : (…) ce 5 rocher qui s’affaisse, de ce vallon qui se creuse, de cette forêt qui chancelle, de ces masses suspendues au-dessus de ma tête 

b)Le rythme ternaire est lyrique

ex: tout s’anéantit, tout périt, tout passe 

III. Le sentiment d’une correspondance entre la nature et le « moi » intérieur annonce le romantisme

a)Thèmes des ruines, de la nature et de la mort, des thèmes annonciateurs du romantisme

->thème des ruines= thème antique qui évoque la mort (thème cher aux romantiques à venir) + thème de la nature

ex: champ lexical de la mort

b)Une place prépondérante prise par le « moi », par l’expérience subjective

->emphase sur le sujet : Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. 

->omniprésence de l’évocation, de la vision

->réflexion sur la condition humaine et le vécu qu’elle cause : ex : et j’envie un faible tissu de fibres et de chair à une loi générale qui s’exécute sur le bronze ! 

+ Défi de Diderot à la nature « moi » grandiose => « moi, moi seul, je prétends m’arrêter sur le bord, et fendre le flot qui coule à mes côtés !  » ; aspiration à l’immortalité et fin du texte : exaltation de la tranquillité du « moi » solitaire.

Ce n’est bien évidemment pas le seul plan possible.

Voici, si vous êtes curieux, le tableau auquel Diderot faisait référence (il n’y avait pas besoin de Le connaître pour réaliser le commentaire) :

tableau hubert robert galerie antique bac 2023
Vue de la Grande Galerie du Louvre en ruine
1796 Hubert Robert , Le Louvre

Notre avis

Le sujet est un peu difficile pour les élèves car il est mal contextualisé. Diderot s’adresse dans son texte à Hubert Robert, qui est alors peintre paysagiste mais aussi conservateur du Louvre (qui s’appelait le Museum à l’époque). Le passage de la critique qui précède l’extrait proposé au Bac commence tout d’abord par une description du tableau et continue par des recommandations de Diderot à Hubert Robert. Le voici :

C’est une grande galerie voûtée et enrichie intérieurement d’une colonnade qui règne de droite et de gauche. Vers le milieu de sa profondeur, la voûte s’est brisée, et montre au-dessus de sa fracture les débris d’un édifice surimposé. Cette longue et vaste fabrique reçoit encore la lumière, par son ouverture du fond. On voit à gauche en dehors une fontaine ; au-dessus de cette fontaine, une statue antique assise ; au-dessous du piédestal de cette statue, un bassin élevé sur un massif de pierre ; autour de ce bassin, au-devant de la galerie, dans les entrecolonnes, une foule de petites figures, de petits groupes, de petites scènes très variées ; on puise de l’eau, on se repose, on se promène, on converse. Voilà bien du mouvement et du bruit. Je vous en dirai mon avis ailleurs, Mr Robert, tout à l’heure. Vous êtes un habile homme. Vous excellerez, vous excellez dans votre genre. Mais étudiez Vernet. Apprenez de lui à dessiner, à peindre, à rendre vos figures intéressantes ; et puisque vous vous êtes voué à la peinture de ruines, sachez que ce genre a sa poétique. Vous l’ignorez absolument ; cherchez-la. Vous avez le faire, mais l’idéal vous manque. Ne sentez-vous pas qu’il y a trop de figures ici, qu’il en faut effacer les trois quarts. Il n’en faut réserver que celles qui ajouteront à la solitude et au silence. Un seul homme qui aurait erré dans ces ténèbres, les bras croisés sur la poitrine et la tête penchée m’aurait affecté davantage. L’obscurité seule, la majesté de l’édifice, la grandeur de la fabrique, l’étendue, la tranquillité, le retentissement sourd de l’espace m’aurait fait frémir. Je n’aurais jamais pu me défendre d’aller rêver sous cette voûte, de m’asseoir entre ces colonnes, d’entrer dans votre tableau. Mais il y a trop d’importuns. Je m’arrête. Je regarde. J’admire, et je passe. Mr Robert, vous ne savez pas encore pourquoi les ruines font tant de plaisir, indépendamment de la variété des accidents qu’elles montrent ; et je vais vous en dire ce qui m’en viendra sur-le-champ. (…)

Il ne faudrait pas que les élèves voient dans cet extrait quelque peu biaisé un éloge adressé par Diderot à Hubert Robert. Pour lire une critique de ce sujet dans les media : POV : le sujet du bac français était mauvais (Mediapart- 15 JUIN 2023)

396 147 élèves ont passé le Bac de français cette année (source).

Et vous, qu’avez-vous proposé comme problématique et comme plan pour ce commentaire de texte de Diderot ?

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