Sido (1930) est une oeuvre emblématique de Colette qui s’intègre dans au programme du Bac de français dans le genre roman, parcours « La célébration du monde ». Nous vous proposons dans ce billet un commentaire linéaire complet d’un extrait du chapitre “Le capitaine”.

Sido“le capitaine” Commentaire linéaire
Sido (Colette) “Le capitaine”, lecture linéaire pour le Bac de français
Il était poète, et citadin. La campagne, où ma mère semblait se sustenter de toute sève, et reprendre vie chaque fois qu’en se baissant elle en touchait la terre, éteignait mon père, qui s’y comporta en exilé.
Elle nous sembla parfois scandaleuse, la sociabilité qui l’appelait vers la politique des villages, les conseils municipaux, la candidature au conseil général, vers les assemblées, les comités régionaux où l’humaine rumeur répond à la voix humaine. Injustes, nous lui en voulions vaguement de ne pas assez nous ressembler, à nous qui nous dilations d’aise loin des hommes.
Je m’avise à présent qu’il cherchait à nous plaire, lorsqu’il organisait des « parties de campagne », comme font les habitants des villes. La vieille victoria bleue emportait famille, victuailles et chiens jusqu’aux bords d’un étang, Moutiers, Chassaing, ou la jolie flaque forestière de la Guillemette qui nous appartenait. Mon père manifestait le « sens du dimanche », le besoin urbain de fêter un jour entre les sept jours, au point qu’il se munissait de cannes à pêche, et de sièges pliants.
Au bord de l’étang, il essayait une humeur joviale qui n’était pas son humeur joviale de la semaine ; il débouchait plaisamment la bouteille de vin, s’accordait une heure de pêche à la ligne, lisait, dormait un moment, et nous nous ennuyions, nous autres, sylvains aux pieds légers, entraînés à battre le pays sans voiture, et regrettant, devant le poulet froid, nos en-cas de pain frais, d’ail et de fromage. La libre forêt, l’étang, le ciel double exaltaient mon père, mais à la manière d’un noble décor. Plus il évoquait
… le bleu Titarèse, et le golfe d’argent…
plus nous devenions taciturnes — je parle des deux garçons et de moi — nous qui n’accordions déjà plus d’autre aveu, à notre culte bocager, que le silence.
Assise au bord de l’étang, entre son mari et ses enfants sauvages, seule ma mère semblait recueillir mélancoliquement le bonheur de compter, gisants contre elle, sur l’herbe fine et jonceuse rougie de bruyère, ses bien-aimés… Loin du coup de sonnette importun, loin de l’anxieux fournisseur impayé, loin des voix cauteleuses, un cirque parfait de bouleaux et de chênes enfermait — j’excepte l’infidèle fille aînée — son œuvre et son tourment. Courant en risées sur les cimes des arbres, le vent franchissait la brèche ronde, touchait rarement l’eau. Les dômes des mousserons rosés crevaient le léger terreau, gris d’argent, qui nourrit les bruyères, et ma mère parlait de ce qu’elle et moi nous aimions le mieux.
Problématique
Comment Colette dépeint-elle le contraste entre son père et le reste de la famille dans leur rapport à la nature, révélant ainsi les dynamiques familiales complexes ?
Commentaire linéaire
Introduction
Colette, figure majeure de la littérature française du XXe siècle, est connue pour son écriture sensuelle et poétique, qui explore les liens entre l’humain et la nature, ainsi que les relations familiales. Dans Sido (1930), un récit autobiographique, elle rend hommage à sa mère, Sidonie Landoy, une femme fascinante et profondément connectée au monde naturel. À travers une série de souvenirs empreints de tendresse et de mélancolie, Colette dresse également le portrait de son père et des dynamiques complexes qui unissaient les membres de sa famille.Dans cet extrait, Colette décrit une scène de vie familiale où chacun révèle son rapport à la nature et à l’autre. Ce passage met en lumière le contraste entre le père, citadin mal à l’aise dans la campagne, et la mère, figure harmonieuse et contemplative. Les enfants, quant à eux, incarnent une communion instinctive avec le monde naturel. Nous nous demanderons comment Colette parvient à dépeindre ces relations familiales en mêlant poésie et observation fine des caractères. Pour répondre à cette problématique, nous analyserons l’extrait en trois mouvements : d’abord le portrait du père et ses tentatives maladroites pour s’intégrer à la nature ; ensuite l’évocation des enfants et leur lien instinctif avec le paysage ; enfin le rôle central de la mère comme figure d’harmonie entre les deux mondes.
I. Le père, un citadin en exil dans la nature
De “Il était poète” jusqu’à “loin des hommes”.
L’extrait de ce chapitre intitulé “le capitaine” commence par deux qualificatifs de ce personnage : “Il était poète, et citadin.” La virgule entre “poète” et “citadin” crée un contraste entre ces deux aspects du père.
Cette phrase concise établit immédiatement l’identité du père, le présentant comme un homme de lettres et un habitant de la ville, ce qui contraste avec l’environnement rural décrit ensuite.
S’ensuit une mention de l’environnement dans lequel se trouve ce dernier et le contraste avec la mère : “La campagne, où ma mère semblait se sustenter de toute sève, et reprendre vie chaque fois qu’en se baissant elle en touchait la terre, éteignait mon père, qui s’y comporta en exilé.” On note ici une personnification de la campagne, qui “éteignait” le père.
La métaphore de la mère se sustentant “de toute sève”, compare son rapport à la nature à une alimentation vitale. Ainsi, l’antithèse présentant le père comme éteint par la campagne alors que la mère est alimentée, nourrie par elle crée un contraste frappant. L’environnement de la campagne, apparaissant comme le milieu naturel de la mère, fait au contraire du père (le capitaine) un “exilé”.
Cette phrase complexe oppose vivement l’attitude de la mère et du père face à la nature. La mère y puise une énergie vitale, tandis que le père s’y sent étranger et diminué.
Ensuite, c’est la vision de Colette et des autres enfants du couple qui est mise en avant : “Elle nous sembla parfois scandaleuse, la sociabilité qui l’appelait vers la politique des villages, les conseils municipaux, la candidature au conseil général, vers les assemblées, les comités régionaux où l’humaine rumeur répond à la voix humaine.” Ce paragraphe comporte une énumération de la liste des activités politiques et sociales qui attirent le père, justifiant son rapport à la ville et son vécu d’exilé à la campagne. Le père est un citadin non par sa faute mais par la faute de la “sociabilité qui est personnifiée puisqu’elle “appelle” le père.
La métaphore “l’humaine rumeur répond à la voix humaine” évoque les interactions sociales et cette phrase révèle l’incompréhension de la famille face à l’attrait du père pour la vie sociale et politique locale, perçue comme inappropriée.
La phrase “Injustes, nous lui en voulions vaguement de ne pas assez nous ressembler, à nous qui nous dilations d’aise loin des hommes” souligne alors le fossé entre le père et le reste de la famille, qui préfère l’isolement à la sociabilité. À travers l’adjectif “injustes” (faisant référence au jugement du reste de la famille sur le père), l’auteure reconnaît l’injustice de leur jugement, tout en affirmant leur différence fondamentale.
Dans ce premier mouvement, le père est donc présenté comme contrastant avec le reste de la famille, puisqu’il est davantage un citadin qu’un amateur de la campagne. Cependant, le père tente de s’adapter à cet environnement.
II. Les tentatives maladroites du père pour s’adapter
De “Je m’avise à présent” jusqu’à “le silence”.
Le père fait des efforts pour rendre agréables les moments en famille à la campagne. La phrase “Je m’avise à présent qu’il cherchait à nous plaire, lorsqu’il organisait des « parties de campagne », comme font les habitants des villes” révèle une prise de conscience tardive de l’auteure sur les intentions de son père. L’expression “comme font les habitants des villes” souligne le décalage entre le père, citadin, et sa famille, plus proche de la nature.
Colette décrit ensuite de manière pittoresque et vivante les sorties familiales : “La vieille victoria bleue emportait famille, victuailles et chiens jusqu’aux bords d’un étang, Moutiers, Chassaing, ou la jolie flaque forestière de la Guillemette qui nous appartenait.” L’énumération “famille, victuailles et chiens” crée un effet d’accumulation joyeuse : rien ne manque. La mention des lieux précis (Moutiers, Chassaing…) ancre le récit dans un cadre géographique réel.
Dans la phrase “Mon père manifestait le « sens du dimanche », le besoin urbain de fêter un jour entre les sept jours, au point qu’il se munissait de cannes à pêche, et de sièges pliants”, l’expression “sens du dimanche” est mise entre guillemets pour marquer son caractère artificiel aux yeux de la narratrice, qui ne la comprenait peut-être pas tout à fait en tant qu’enfant à l’époque. La phrase mentionnant les “cannes à pêche” et “sièges pliants” symbolise cette approche urbaine de la nature et souligne à nouveau le caractère citadin du père.
Le père s’efforce de se sentir à l’aise dans l’environnement qui plaît à sa famille, mais son attitude est un peu forcée : “Au bord de l’étang, il essayait une humeur joviale qui n’était pas son humeur joviale de la semaine”. Le verbe “essayait” met en avant ces efforts et leur résultats probablement peu concluants selon la narratrice. En effet, les enfants s’ennuient (“il débouchait plaisamment la bouteille de vin, s’accordait une heure de pêche à la ligne, lisait, dormait un moment, et nous nous ennuyions, nous autres, sylvains aux pieds légers, entraînés à battre le pays sans voiture, et regrettant, devant le poulet froid, nos en-cas de pain frais, d’ail et de fromage”). De plus, l’énumération des activités du père souligne leur caractère artificiel. La métaphore “sylvains aux pieds légers” pour désigner les enfants accentue leur lien naturel avec la campagne et leur décalage avec le père.
Par ailleurs, la phrase “La libre forêt, l’étang, le ciel double exaltaient mon père, mais à la manière d’un noble décor” montre que le père apprécie la nature, mais de façon distante, comme un spectacle esthétique plutôt qu’une expérience vécue.
L’écart se matérialise encore plus lorsque le père parle : “Plus il évoquait … le bleu Titarèse, et le golfe d’argent… plus nous devenions taciturnes — je parle des deux garçons et de moi — nous qui n’accordions déjà plus d’autre aveu, à notre culte bocager, que le silence.” En effet, cette dernière phrase souligne le fossé grandissant entre le père et ses enfants. Les références poétiques du père contrastent avec le silence des enfants, qui expriment leur communion avec la nature par leur mutisme.
III. La mère, trait d’union entre deux mondes
De “Assise au bord de l’étang” jusqu’à la fin.
L’écart entre le père, citadin dans l’âme, et ses enfants, à l’aise dans la nature, et comblé par la mère, trait d’union entre eux. En effet, la phrase “Assise au bord de l’étang, entre son mari et ses enfants sauvages, seule ma mère semblait recueillir mélancoliquement le bonheur de compter, gisants contre elle, sur l’herbe fine et jonceuse rougie de bruyère, ses bien-aimés…” établit une scène pittoresque et intime dans laquelle la position centrale de la mère, “entre son mari et ses enfants sauvages”, souligne son rôle de lien familial. L’adjectif “sauvages”, qui fait référence aux enfants, contraste avec l’image plus urbaine du père. La mère fait l’action de “recueillir mélancoliquement le bonheur”, ce qui révèle la complexité de ses émotions et de son rôle de trait d’union entre son mari et ses enfants. La description détaillée de l’herbe (“fine et jonceuse rougie de bruyère”) ancre la scène dans une nature vivante et colorée. Ce sont malgré tout des moments de bonheur simple.
Ces moments sont des moments hors du temps, hors des soucis . La phrase “Loin du coup de sonnette importun, loin de l’anxieux fournisseur impayé, loin des voix cauteleuses, un cirque parfait de bouleaux et de chênes enfermait — j’excepte l’infidèle fille aînée — son œuvre et son tourment” utilise l’anaphore “loin de” pour la tranquillité que ressent la famille loin du quotidien. La métaphore du “cirque parfait de bouleaux et de chênes” crée une image de protection naturelle offerte par la nature contre les problèmes de la vie. Par ailleurs, la parenthèse sur “l’infidèle fille aînée” ajoute une touche personnelle et suggère une histoire familiale complexe sans en dire davantage. L’opposition entre “œuvre” et “tourment” résume la dualité de la vie de la mère.
Dans ce contexte, l’image poétique du vent qui “franchissait la brèche ronde” évoque un paysage à la fois ouvert et protégé (“Courant en risées sur les cimes des arbres, le vent franchissait la brèche ronde, touchait rarement l’eau”). Cette phrase personnifie le vent, lui donnant un mouvement vivant et presque joueur. La brèche “ronde” fait écho au “cirque”, renforçant l’idée de circularité, de cocon, de protection.
La dernière phrase de l’extrait (“Les dômes des mousserons rosés crevaient le léger terreau, gris d’argent, qui nourrit les bruyères, et ma mère parlait de ce qu’elle et moi nous aimions le mieux”) mêle une description précise et poétique de la nature (“dômes des mousserons rosés”, “léger terreau, gris d’argent”) avec l’évocation d’une complicité intime entre la mère et la narratrice. Le verbe “crevaient” donne une image dynamique à la croissance des champignons.
La phrase se termine sur une note de partage et d’amour, soulignant le lien spécial entre la mère et sa fille.
Conclusion
En conclusion, cet extrait de Sido de Colette offre un tableau saisissant des dynamiques familiales et du rapport à la nature. À travers une écriture riche en contrastes et en détails sensoriels, l’auteure dépeint les tensions et les liens qui unissent les membres de sa famille. Le père, figure centrale mais paradoxalement en décalage, incarne le citadin mal à l’aise dans un environnement rural. Ses efforts maladroits pour s’adapter et plaire à sa famille révèlent à la fois sa bonne volonté et son inadéquation. Cette représentation nuancée témoigne de la maturité du regard de Colette, capable de comprendre et d’apprécier rétrospectivement les intentions de son père. En contrepoint, la mère apparaît comme une figure d’harmonie, profondément connectée à la nature et servant de lien entre les différents membres de la famille. Sa capacité à apprécier à la fois la présence de ses proches et la beauté du monde naturel en fait le cœur émotionnel de la scène.
Ce qui est intéressant ici c’est l’écriture de Colette, et la manière dont elle dépeint le contraste entre son père et le reste de la famille dans leur rapport à la nature, révélant ainsi les dynamiques familiales complexes. Son écriture riche en métaphores, personnifications et descriptions sensorielles, transforme ce simple moment familial en une réflexion profonde sur les relations humaines, le rapport à la nature et le passage du temps. Enfin, cet extrait illustre la capacité de Colette à transcender le simple récit autobiographique pour atteindre une dimension universelle. En explorant les complexités des relations familiales et le lien entre l’homme et la nature, elle touche à des thèmes qui résonnent bien au-delà de sa propre expérience, faisant de ce passage un moment de littérature à la fois intime et universel.
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