Après notre premier épisode cet été consacré sur la manière de devenir polyglotte, dans lequel nous avons mis l’accent sur la définition des termes multilingue, bilingue et polyglotte, nous allons voir aujourd’hui que nombreux sont les polyglottes qui n’ont pas appris les langues avec des bouquins Assimil et qui parlent plusieurs langues tout naturellement car ils vivent dans des pays où de nombreuses langues existent.
Comment devient-on polyglotte ? Épisode 2 : les polyglottes accidentels
1. Pays fortement multilingues VS pays à faible diversité linguistique
On compterait environ 6900 langues à travers le monde et il existe des pays où un nombre incroyable de langues sont parlées. En haut du podium, quel pays trouve-t-on selon vous ?
1 ) la Chine
2 ) la Côte d’Ivoire
3) la Papouasie-Nouvelle-Guinée
La réponse est donnée par Ethnologue.com (2016), cité par le Forum économique mondial : il s’agit de la Papouasie Nouvelle Guinée.
On y dénombre en effet 839 langues parlées comme première langue, pour seulement 7 millions d’habitants. Non, vous ne rêvez pas 839 langues DANS LE MÊME PAYS. La géographie du pays expliquerait l’isolement et l’émergence de nombreuses langues. Les chiffres fournissent un ordre d’idées, car il existe de nombreux débats sur la manière de compter les langues (écrites ou parlées, inclure les dialectes ou non…). On retiendra une idée générale et non des chiffres précis.
Ce pays multilingue est suivi par l’Indonésie, puis par le Nigéria.
A l’inverse, la Corée du Nord est le pays avec la diversité linguistique la plus faible.
Vous pouvez consulter ici une carte montrant la répartition mondiale des pays à faible ou forte diversité linguistique.
On note que l’Asie du sud-est, l’Afrique centrale ou encore le Mexique comptent un grand nombre de langues. Une carte de la National Geographic montre également l’indice de diversité linguistique dans le monde. Lorsque l’indice est proche de 0 (en vert sur la carte) cela signifie que la diversité linguistique est faible, et lorsque l’indice est proche de 1 cela signifie que la diversité linguistique est élevée :

L’Europe est un continent où on trouve globalement une faible diversité linguistique. On peut lire ceci dans le rapport LINGUISTIC DIVERSITY AND NEW MINORITIES IN EUROPE (2002) :
Contrairement à d’autres régions du monde, notamment les États australasiens ou africains, les États-nations européens se considèrent comme monolingues ou, à tout le moins, bilingues si leur espace est divisé en territoires ayant des langues principales différentes.
Ingrid GOGOLIN
LINGUISTIC DIVERSITY AND NEW MINORITIES IN EUROPE
Guide for the Development of Language Education Policies in Europe: From Linguistic Diversity to Plurilingual Education
En général, une faible variété de langues va de pair avec une culture homogène, alors qu’une grande diversité linguistique reflète souvent un plus grand nombre de peuples et de cultures, ou encore une position géographique ancienne sur des routes commerciales (le cas du Kazakhstan par exemple).
2. Les polyglottes « accidentels » : entre apprentissage formel et apprentissage informel
Ce sont les polyglottes qui le sont car ils qui vivent dans des pays où plusieurs langues existent et sont parlées et…ils ne sont pas minoritaires, loin de là !
En effet, on peut dire que le multilinguisme à l’échelle collective est plutôt la norme qu’une exception dans le monde. Prenons des exemples autour de nous : en France, tout le monde parle français, beaucoup parlent aussi l’anglais à un niveau ou un autre et une seconde langue apprise au collège et au lycée (généralement l’espagnol ou l’allemand). D’autres ont suivi une 3e langue, dans laquelle ils ont quelques notions. De nombreuses personnes parlent aussi une langue régionale, l’alsacien en Alsace par exemple, ou encore le corse, la basque, l’occitan ou le breton. On voit donc déjà que beaucoup de personnes sont multilingues, et on rappelle que pour l’être, il n’est pas nécessaire (ni possible) de maîtriser toutes les langues au même niveau (voir Comment devient-on polyglotte ? Épisode 1 : polyglotte, multilingue ou bilingue, de quoi parle-t-on ?).
En Tunisie, en Algérie et au Maroc, tout le monde ou presque parle français, et l’arabe tunisien (darja) ou l’arabe marocain ou l’arabe algérien. La plupart des gens comprennent aussi l’arabe classique, à une degré ou à un autre puisqu’il est enseigné à l’école publique. Les jeunes générations ont aussi un niveau plus ou moins élevé d’anglais, voire d’une deuxième et d’une troisième langue. En Tunisie par exemple, dû à la proximité géographique avec l’Italie, au tourisme et à la télévision (vive Rai 1 !), beaucoup de personnes ont appris et parlent l’italien de manière informelle. Les Tunisiens sont donc nombreux à être quadrilingues !
Et on peut continuer comme ça dans différents pays du monde…D’ailleurs, les langues officielles d’un pays ne sont pas représentatives de la diversité linguistique de celui-ci (voir ici). Par exemple, la Tunisie a uniquement pour langue officielle l’arabe.
Alors on peut se demander comment ces polyglottes apprennent de multiples langues.
Une étude récente de Noprival et Al.2019 et intitulée « Breaking the Secrets behind the Polyglots : How Do They Acquire Many Languages? » s’est intéressée à l’apprentissage des langues chez des Indonésiens polyglottes (750 langues en 2020 selon Ethnologue, on peut en dénombrer plus en fonction de la manière de compter).
Les personnes qui vivent dans un pays multilingue, comme l’Indonésie, ont de fortes chances de
de devenir polyglottes, puisque des centaines de langues régionales sont parlées dans tout le pays et la plupart des Indonésiens sont au moins bilingues (Cohn & Ravindranath, 2014 ; Marcellino, 2008).
Bien que l’étude ait porté sur un échantillon restreint (7 participants) elle nous apprend certaines choses. Les polyglottes en question, qui parlent minimum 4 langues, les ont apprises grâce l’apprentissage formel d’un côté:
- à l’école (notamment la langue officielle de l’Indonésie, le bahasa, et l’anglais)
- à travers l’enseignement religieux, dans les madrasahs (c’est le cas de l’arabe)
mais aussi grâce à l’auto-apprentissage (sans l’aide d’un professeur, selon la définition de (Dickinson) :
- via des livres, manuels et dictionnaires
- via les TIC (technologies de l’information et de la communication) : sites Web et ressources sur le Web, VK, Youtube, Whats’App…L’étude a montré que pour les participants, les TIC ont été utilisés pour renforcer l’apprentissage formel réalisé en classe.
- en se déplaçant dans un lieu où une autre langue est parlée et en communiquant avec les membres de ces groupes (acculturation)
L’étude a aussi montré que l’apprentissage ne se faisait pas de la même façon selon la langue : la langue maternelle (qui peut être une langue régionale) est essentiellement acquise de manière informelle, la langue officielle du pays est acquise via l’instruction formelle et les langues étrangères sont acquises soit via l’instruction formelle soit via l’auto-apprentissage.
3. »Je parle les langues qui facilitent mon travail »
En Afrique, on estime qu’il existait 1270 langues dans les années 70 (Welmets), on en dénombrerait plus de 2000 récemment (Abolou). Le Nigéria à lui seul en avait 400 !
Pourquoi apprendre (de manière formelle ou informelle) plusieurs langues ?
C’est un sujet à part entière, alors avant de vous en parler dans un prochain épisode, voici un micro-trottoir à la rencontre de personnes en Afrique de l’Ouest, qui disent quelles langues elles parlent, expliquent la manière dont elles les ont apprises et pourquoi elles en parlent plusieurs (c’est sous-titré) :
Voilà pour aujourd’hui. Cet épisode vous a plu ? Posez-nous vos questions ou réagissez en commentaires et abonnez-vous au blog pour rester au fait de nos actualités.